• Depuis le hublot, Tarawa, atoll des Kiribati, semble flotter sans épaisseur entre ciel et mer, fine bande de terre en pointillé dans le grand bleu. Deux fois par semaine, l’avion de Fiji Airways relie cette petite république micronésienne au hub régional de Nadi, aux Fidji. Après trois heures de vol, il atterrit dans la chaleur moite de cette île serpentine,de 450 mètresde large en moyenne, bordée d’un côté par son lagon, de l’autre par le récif. L’océan y est partout visible. La journée, on y pêche, le soir, on y fait salon, assis dans ses eaux chaudes et lisses. Quand la marée descend, elle laisse à nu, sur le sable corallien, des détritus plastiques et électroniques, vieux jerricans ou pièces de voiture. Sans parler des excréments – selon la Banque mondiale, 60 % des foyers de Tarawa-Sud, communauté urbaine capitale de l’archipel, n’ont pas de toilettes.

    Vues d’Occident, les Kiribati ont souvent été dépeintes comme ce paradis de sable blanc et de lagon turquoise qui, à y regarder de plus près, ressemble aussi à un enfer, perdu au bout du monde. Isolées, dispersées, minuscules… les trente-trois îles de cet archipel sont éparpillées sur 3,5 millions de kilomètres carrés (km2) d’océan – soit environ la superficie de l’Inde. Si on les juxtaposait, elles atteindraient 811 km2, à peine la surface du Grand Paris. Ces atolls coralliens occupent pourtant une place centrale sur un planisphère : au beau milieu du Pacifique, à la croisée de la ligne de changement de date et de l’équateur. Paradis ou enfer, l’archipel évoque aussi un autre mythe cher à notre imaginaire : le déluge. Affleurant à deux mètres en moyenne à la surface de l’océan, ce pays est l’un des plus menacés par la hausse du niveau de la mer, causée par le réchauffement climatique. Il est aussi l’un des plus pauvres, dépendant largement des aides internationales et des licences de pêche accordées aux navires étrangers pour puiser dans sa vaste zone maritime.

    Omniprésente et vitale – les habitants des Kiribati comptent parmi les premiers mangeurs de poisson au monde, avec 77 kg par personne et par – la mer est aussi ce qui pourrait les perdre. D’après les estimations du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, la montée des eaux pourrait atteindre 98 centimètres d’ici à 2100. Soit un tiers de l’altitude maximale de Tarawa. Un rapport de la Banque mondiale, datant de 2000, estime que si rien n’est fait, jusqu’à 54 % de Bikenibeu, une localité de Tarawa-Sud, et jusqu’à 80 % de Buariki, une île du nord de Tarawa, seront submergées d’ici à 2050. Erosion costale et submersions marines, salinisation des sols et maigres ressources en eau douce, mais aussi hausse des températures, hausse de l’acidification de l’océan… les effets du changement climatique sont, aux Kiribati, aussi prégnants que les propres émissions de gaz à effet de serre de l’archipel sont négligeables – 72 000 tonnes de CO2 en 2013, contre 344 millions de tonnes en France et 9 milliards de tonnes en Chine.

    from  http://www.lemonde.fr/planete/visuel/2015/09/19/les-iles-kiribati-enfer-et-paradis_4753156_3244.html


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